de La Famille Paysanne… (extraits de la conclusion par G. Thibon. – 1947)
Le nœud de la question réside là : il faut conserver le monde paysan et il faut le refaire. Il n’est pas possible de le conserver dans son état actuel.
Car cet état est un état d’anémie qui le mène insensiblement à la mort. Le monde paysan ressemble à un corps malade. Nous devons sauver ce corps : en cela, nous sommes conservateurs. Mais nous devons aussi le guérir – et en cela, nous sommes révolutionnaires.
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Il serait absolument utopique de prétendre restaurer la paysannerie en ressuscitant les communautés fermées d’autrefois. [……] L’agriculture moderne ne peut plus se replier sur elle-même ; l’unique problème qui se pose à elle réside dans l’adaptation des valeurs immuables qui constituent sa nature et sa raison d’être aux conditions de l’heure présente. – Ne nous y trompons pas : la vie rurale aura d’autant plus besoin d’être enracinée qu’elle devra être plus ouverte. Seules les formations sociales solidement structurées peuvent s’adapter sans se disloquer au courant d’échanges qui balaie le monde moderne. Un arbre ne résiste au vent que dans la mesure où il enfonce ses racines dans la terre.
Le problème se pose sur deux plans qu’il ne faut ni confondre ni séparer : le plan moral et le plan institutionnel.
Ni les individus ni les communautés ne peuvent être sauvés s’ils ne collaborent eux-mêmes à leur salut. Le mal dont souffre la société moderne est trop profond et trop universel pour qu’un simple changement politique puisse suffire, comme au temps d’Henri IV, à ramener l’équilibre et la santé. Le mal a pénétré jusqu’aux cellules sociales de base, et c’est par ces mêmes cellules que la guérison doit commencer. La première de ces cellules – celle d’où procède la vie de la Cité toute entière et sans laquelle toutes les autres communautés se figent ou se désagrègent – c’est la famille.
La vie familiale et la vie rurale sont intimement solidaires. D’une part, le travail de la terre requiert, pour être fécond, l’unité et la continuité de la famille et, d’autre part, l’attachement à la terre renforce ces vertus familiales. L’histoire prouve assez que toute société qui perd ses attaches avec la terre voit, parallèlement, s’effriter sa structure familiale – et réciproquement. C’est donc la famille rurale qu’il faut restaurer d’abord. Aucune vraie renaissance de l’agriculture n’est concevable sans la conservation et la multiplication de ces foyers de paysans qui, conscients de la grandeur et de la vérité de leur tâche, s’accrocheront à la terre de toute leur âme et s’opposeront, par leur exemple et par leur rayonnement, aux forces d’inertie et de dispersion. Toutes les autres mesures de salut seront vaines si elles ne s’accompagnent pas de ce sursaut d’une élite locale qui ne veut pas mourir et qui répand la vie autour d’elle. Notre salut réside avant tout dans le travail de nos mains et l’amour de nos cœurs.